Carnet de voyage
Le Voyage mythologique , Mitologik Yolculuk (Turquie et Grèce, 1998)
Initiée par François Monnet, homme de théâtre, cette aventure artistique a réuni 30 artistes venus de plusieurs pays d’Europe ; comédiens, musiciens, danseurs, scénographes. Ce carnet de voyage retrace la création du spectacle et sa tournée à travers la Turquie dans les villes et les campagnes, les représentations se tenant sur les lieux mythiques comme les temples grecs, les vestiges d’abbayes chrétiennes des premiers siècles, les caravansérails….
Que reste-t-il de ce voyage ? La trace d’un chemin à travers les dessins de Flore Angèle. Un chemin foulé par 30 paires de pieds comme les 30 oiseaux en quête du Simorgh… de la célèbre œuvre du poète Attar « la conférence des oiseaux »… Oui, 30 artistes : oiseaux migrateurs venus de Biélorussie, du Danemark, de l’Italie, d’Autriche, de Hongrie, de Pologne, de France, de Turquie.
De cette aventure, je fus l’instigateur, Flore le témoin, chacun à un bout de l’histoire.
C’est à la recherche d’un mythe européen fondateur que nous nous étions lancés, où pour le dire autrement, la construction d’un pont entre Orient et Occident.
Choix de la terre Turque, terre hittite, hellénique, chrétienne, seldjoukide, ottomane, berceau privilégié de toutes les cultures qui ont fondées notre richesse humaine.
Juste à un moment, où, pour de compréhensibles raisons, la candidature d’entrée de la Turquie dans la famille politique et économique de l’Europe été rejetée.
Lors d’une dernière escale du voyage nous sommes allés jouer à l’île grecque de Kos.
Murat, l’un des danseurs Turc, est allé parler à la radio locale disant : « nous sommes venus réécrire avec vous histoire », une histoire qui dans chaque pays faisait de l’autre un ennemi héréditaire.
Peut-être le moment le plus important de ce voyage !
Flore fut celle qu’on embarque en dernier sur le navire, celle qui n’a pas rôle d’actionner telle ou telle machinerie, ni de tenir le cap, ni d’échopper et de ramer, seulement de regarder, regarder ce qui se passe à bord, dans ce grand voyage que nous avions sans modestie baptisé « le voyage mythologique ».
C’était la mission des chroniqueurs des voyages islandais, les auteurs des grandes sagas, mais eux écrivaient et toi tu avais décidé qu’en réponse à ma demande d’être le chroniqueur du voyage, tu n’écrirais pas, tu dessinerais. Ce n’était pas là mon plan au départ, mais je voulais la qualité de ton regard avant tout, et comme tu me disais être incapable d’écrire cette chronique avec des mots d’écrivains, j’acceptais.
Ainsi tu étais là, où qu’on se trouve : dans l’ombre au fond d’un café, installée sur des blocs de pierre dans les derniers gradins d’un temple de Zeus, à demi enfoui au milieu des chênes verts et des oliviers, dans un caravansérail à peine débarrassé de ses crottes de bique et de moutons, parfois avec une petite lampe à pétrole pour t’éclairer dans les hameaux de montagne, sur les rivages de la mer Égée, ayant chaque fois installé en guise d’atelier ton campement avec une planche pour dessiner, des plumes, de l’encre et du brou de noix, une petite bouteille d’eau et un grand sac rempli de papier vierge.
Tu saisissais les instants de vie, les mouvements, le théâtre, les visages, les lieux, le poème de cette aventure, car tous ces dessins sont un poème, calligraphie jetée sur le papier, pour que l’on n’oublie pas la trace où nous pouvons maintenant nous retrouver.
François Monet, Copenhague juillet 2016